Le cœur lui tambourinant la cage thoracique tel un moineau fébrile se cognant contre les barreaux de sa cage dorée, Nephtys ne s’attendait guère à cette trahison orchestrée par son propre corps. Inspirer, expirer, lentement, doucement. Elle est prête, elle le sait. Pourtant, l’idée d’initier cette présentation ne lui inspire pour l’instant qu’un certain désarroi. Après cela, tout sera à la fois fin et début, l’ancien cycle laissant place au prochain, Aedhion s'effaçant pour la laisser ainsi voler de ses propres ailes. Là repose le problème ; cette crainte d’une vie solitaire. Tu es le feu et la glace, le calme et la tempête, la force et l’équilibre, tu peux dépasser cette peur paralysante. L’esprit déterminé, le myocarde apaisé, elle s’avance d’un pas fluide, sans un dernier regard pour son maître. Les prunelles vagabondent, captant ci et là les iris indéchiffrables des membres du conseil. Tu es éclairée, désentravée, tu es prête. Que débute la présentation.


Le premier pas, le plus dur, est franchi, le temps tout à coup suspendu. La conscience avisée, le corps en éveil. La peur est faite pour être dépassée.


L’esquisse d’un sourire pour unique réponse, elle a cette drôle d’impression d’être soudainement plus légère, telle une plume. Le renouveau est imminent, à portée de main, elle n’a plus qu’à l'embrasser là, tout de suite.
La voix de l’ancien s’élève cependant une nouvelle fois, annonçant l’Ahn-Ju. Elle connaît déjà sa réponse, elle y a tout réfléchi. Non. Elle ne s’imagine guère arpenter cette dure voie. Pourtant, elle s’avance d’un énième pas décidé et le silence semble soudainement l'assaillir. « Jeune Apprentie, souhaitez-vous tenter l'Ahn-Ju ? » Tout n’est que calme et sérénité. Elle adresse finalement un regard à celui qui n’est désormais plus son maître, puisqu’elle est à présent maîtresse d’elle-même. Les regards s’entrecroisent, s’accrochent. « Oui, je le souhaite. » Elle en a elle-même le souffle coupé, surprise par ses propres mots résolus. Ce n’est donc qu’un énième commencement.

Soudainement animée d'une nouvelle aspiration, elle se sent comme transportée. En voilà une étrange sensation, elle ne s'imaginait guère pouvoir se surprendre elle-même. Au fond, on ne connait jamais totalement les autres, mais cet état de fait s'applique peut-être également à soi-même, à notre nature profonde. L'Ahn-Ju s'offre ainsi à elle, aussi inattendu soit-il à ses yeux, pourtant le cœur est léger, tout comme sa détermination demeure éclatante, infaillible.

L'ancien reprend la parole d'un ton neutre et éthéré. Les quelques mots prononcés s'apparentent à la facilité même, excepté le fait que rien ne se révèle jamais aussi simple et facile qu'on l'imagine. Dans ce monde, les embûches jonchent et parsèment les routes, les obstacles font partie intégrante de l'existence humaine.
Tandis qu'une porte parfaitement dissimulée au sein du mur lui faisant face lui apparait, s'offrant à elle, elle s'élance, lentement, avec la précaution d'un être averti. Elle n'est pas dupe, quelque chose l'attend de l'autre côté de cette porte savamment masquée.

La tension s'immisce un instant en elle, tandis que la porte se referme après son passage. Prévisible. La voilà prise au piège comme un lézard que l'on attrape par la queue. Mais, tu n'es pas démunie, Nephtys, contrairement à ce pauvre lézard imaginaire. Plaquée contre une paroi fraîche et rêche, le respiration basse, sous-contrôle, les pupilles se projettent au cœur de la pièce, capturant instantanément la clef couleur cuivre perchée au sommet d'un promontoire vieilli par le temps.
La précipitation animant ses gestes, elle esquisse un mouvement, un pas. Première erreur. Elle n'est pas seule. Les souffles rauques ne lui échappent pas, tout comme les silhouettes imposantes couchées au fond de la pièce close. Des loups du nord.
Tout vient à point à qui sait attendre. Muette comme une tombe, aussi immobile qu'une statue figée dans le marbre, elle patiente, inspecte et évalue. Ils dorment, ou du moins lui semblent-ils. Pourtant, encore une fois, une voix lui chuchote que c'est trop évident, trop simple. D'un pas feutré, elle s'avance cependant, aussi légère qu'une plume, elle glisse à même le sol, le regard fixant son objectif, les autres sens tournés vers les deux loups, l'ouïe à l'affût.
Un pas après l'autre, aussi silencieuse et agile qu'un chat, le promontoire se dresse devant elle, s'approchant de minute en minute. Les doigts, empressées, effleurent la clef, stoppant leur progression tandis qu'un grognement pour le moins terrifiant lui parvient. La sieste est terminée.
L'instinct prend le dessus, arrachant la clef au promontoire, le déclic de la porte lui parvient. Il n'y a plus qu'à se montrer aussi rapide qu'une flèche. Elle s'élance, l'adrénaline pulsant dans ses veines, les jambes cavalant avant que son cerveau n'en n'ait donné l'ordre. Tu y es presque.
Mais presque n'est guère synonyme d'arrivée. Le cri demeure muet, bloqué au creux de sa gorge, tandis qu'elle sent les crocs s'enfoncer dans sa chair. Elle flanche, les genoux cognant le sol froid, main pressée contre son flanc droit. Elle n'a pas vraiment le temps d'inspecter la plaie, mais le liquide visqueux salissant ses doigts lui indique une morsure en bonne et due forme. Tu ne ressens pas la douleur, elle te transcende. Un mantra comme un autre. Peu encline à se laisser ainsi dépérir, l'instinct reprend le dessus, effaçant la peur. Machinalement, elle s'élance sur sa gauche dans une roulade simple et efficace, évitant le loup autrefois face à elle. Les jambes filent, volent, le clef fermement enserrée dans son poing, elle prend son élan, aussi vive que son maître, sautant par dessus le second loup lui bloquant le passage. L'atterrissage n'est pas aussi maîtrisé ou gracieux que d'habitude, mais il se fait dans la pièce principale, loin des crocs et des griffes.

Le visage est de marbre, pas une grimace de douleur, pas un pincement de lèvres, rien. Elle n'ose cependant pas regarder Aedhion, ne souhaite guère y découvrir une once de déception. Elle s'avance, la main sur le flanc, évaluant sa propre blessure, estimant cette dernière heureusement peu profonde, elle s'estime également chanceuse, mais note tout de même mentalement de songer à prévenir une future infection potentielle. Elle s'immobilise, face à l'ancien elle se montre toujours aussi déterminée, lui tendant la clef en cuivre d'une main ensanglantée. Victoire au goût âcre, victoire tout de même.