Cette nuit, le Vautour était de sortie.
Dans la taverne tamisée, quelques murmures s'étaient élevés à son entrée. On se posait des questions, on soulignait sa démarche chaloupée et ses gestes calculés. On se méfiait. On l'observait. On le sentait.

Là. Tapis au fond de lui.
Le Chaos à peine endormit.

Il était un oiseau de malheur. Sa silhouette de mauvaise augure refroidissait les esprits, bien échauffés par l'eau de vie. On se demandait pourquoi. Ce qu'il faisait ici. Et on s'imaginait le pire, on s'attendait à ce qu'il ai amené avec lui la Souffrance, la Mort, ses grandes amies.

Mais il était seul.
Simple âme esseulée qui était venu à la taverne pour s'égarer.

Ses orbes argentés se glissèrent sur l'assemblée, observant les nombreux étrangers, remarquant que certains étaient presque paniqués. Il soupira, discrètement, doucement. Il tâta machinalement ses poches, remarquant l'une de ses armes, visible, et la rangea, la cacha loin des regards inquiets. Il croisa le regard de l'un des individus, froid, aux sourcils froncés et alla puiser tout au fond de sa force pour... lui sourire. Le rictus lui brûla les joues et lui écorcha l'âme, mais il le maintint quelques secondes, se forçant à ne pas avoir l'air hostile -si cela était possible.

Le tavernier le mettrait dehors s'il faisait peur à ses habitués.
Et si, un autre jour cela aurait pu l'amuser, il n'avait pas envie, aujourd'hui de retourner sur la route, de chercher à nouveau un endroit où se poser. La journée avait été assez longue ainsi. Assez éprouvante et désespérante.

Il était sur la piste de quelqu'un de qui l'on voulait simplement se venger. Ce n'était pas la quête la plus profonde, l'objectif le plus excitant, mais on l'avait grassement payé.
Et Horyl avait bien compris pourquoi.
Sa cible était fuyante comme la brume du matin et protégée comme le trésor d'un joaillier. Elle lui avait glissé entre les doigts, il avait affronté quelques uns de ses alliés et s'était fait berner bêtement par l'un d'entre eux, qui avait servit d'appât. Sa Proie avait ainsi eu le temps de fuir. Et, alors que l'obscurité était tombée, il avait les mains vides.
Pour l'instant.

Au fond, peut-être qu'il aurait dû laisser les gens le craindre.
Au fond, peut-être qu'il aurait dû brandir son arme, l'utiliser, attaquer.
Il était en colère, affreusement en colère.
Son orgueil blessé le faisait bouillonner.

Sentant sa mâchoire se serrer, il soupira, tenta de reprendre contenance. Ce n'était pas le moment. S'il s'énervait vraiment, il allait empirer la fin de sa journée, il allait sombrer. Chute libre. Sans s'arrêter.

Il s'approcha du comptoir, pour s'adresser à l'aubergiste. Il était venu ici pour ça. Pour trouver quelque chose qui allait calmer sa colère, endormir son ego. Quelque chose qui lui ferait oublier l'état catastrophique dans lequel il se trouvait, désormais, après ses mésaventures.
Affamé de gloire, non rassasié et les mains vides.

« Une choppe d'hydromel, s'il vous plaît. »

Lorsqu'il fu servi, il se dirigea vers les tables pour se choisir la seule qu'il trouva vide. Les discussions avaient repris bon train et on semblait l'avoir complètement oublié. Parfait. Il s'assit sur l'un des tabourets et posa ses bottes sur l'autre ; décidant qu'il serait peut-être un peu trop inconvenant de les poser sur la table. Alors qu'il buvait une première grande gorgée de son alcool, il entendit la porte s'ouvrir. Horyl regarda, curieux, et cru y reconnaître une silhouette familière.
Il l'avait croisé, déjà. Une fois. Peut-être deux.
Mais, même si sa présence ne lui était pas désagréable, il n'avait pas encore assez bu pour le saluer.
Pourtant, il savait que ce serait une occasion de lui reparler et qu'il risquait fortement de passer une bonne soirée.

Son voyage dans les terres du Nord l'avait chamboulé. Ancré dans sa chaire, la vive émotion des visites des terres du passée. Souvenirs ravivés au-delà de son propre pouvoir, rencontres fortuites ou prévues qui mettent en branle son intellect et sa détermination. Le dessinateur ne sait plus réellement quoi penser.


Plus il le regarde et plus il en doute. Ces vieux traumatismes n'y sont pas pour rien, même si d'autres regards et sourire lui permettent de mettre plus d'étincelles dans ses iris. Un regard sombre, une peau matte et des doigts agiles. Rien que cette pensée lui arrache un frisson alors qu'il passe la porte de cette auberge non loin d'Al-Chen.

La riche bourgade l'accueille sur son chemin du retour vers la capitale, alors que le jour laisse place à la nuit. Sombre et pleine de terreur. Jusqu'à ce que les lumières chaleureuses de l'établissement ne chasse les dernières traces de fraicheurs et d'appréhension. Les habitués et client déjà présents le toisent sans aucune retenue, curiosité teintée de méfiance non-dissimulé. Leander tâche de ne rien remarquer, même si les yeux scrutateurs l'ont toujours dérangé. N'ont-ils rien de mieux à faire ces idiots ? Les sourcils froncés cernent son visage fatigué alors qu'il va au comptoire pour commander rapidement : « Une pinte de votre meilleure bière et une chambre pour la nuit, s'il-vous plait. » malgré le ton sec, la politesse reste quand même la meilleure des manipulations. Une fois le verre servi, on lui dit qu'on viendrait le prévenir quand la chambre serait prête. Parfait. Au moins une chose qui se déroule à peu près comme prévu.

Le dessinateur s'empare de sa boisson pour porter un regard scrutateur et circulaire à la salle, avec l'envie profonde de s'isoler en attendant qu'on vienne le chercher. La faim ne le tenaillait pas, il pourrait paisiblement s'endormir avec les légères vapeurs d'alcool. Au moins pourra-t-il, peut-être, échapper aux souvenirs cauchemardesques qui le hantent depuis sa visite récente des restes de l'Exploitation ...

Pourtant, ses orbes bleu orage tombe sur un visage qu'il reconnait immédiatement. Dessinateur de la mémoire, chaque souvenir reste gravé dans son âme comme du marbre taillé. Et il se souvient -en partie- de la dernière soirée qu'il a passé avec l'énergumène qui le toise avec suffisance. Sans trop comprendre pourquoi, Leander se dirige alors vers lui, quand il finit par le saluer : « Si je pensais croiser Horyl Eno dans une taverne perdue d'Al-Chen, je serais probablement passé plus tôt ! », le ton sec a laissé place à un ton plus chaleureux et sincère. Malgré l'aventure de leur dernière entrevue, le grand brun en garde un souvenir ... Rocambolesque loin de lui déplaire.

Il s'attable alors près de lui et commence à boire avec envie la "meilleure bière" de l'établissement, tout en se disant que leur réputation devrait surement être à refaire. La grimace peu convaincue qui accompagne le verre qui se pose sur table en dit long. « Alors, qu'est-ce qui pourrait bien t'amener dans un endroit pareil ? Probablement pas la boisson, de ce que je peux en goûter ... ». La curiosité aura toujours été un traits bien fort du dessinateur, autant pour sa plus grande chance que pour son plus grand mal. Et l'attraction étrange de Horyl aura toujours réussit à titiller cette part de lui qu'il n'arrive pas vraiment à décrire.

Au moins la soirée promet d'être bien plus intéressante que prévue.