Elle est née dans un quartier pauvre, Maud, dans une ville pauvre qui n'avait rien à offrir. Son frère ainé s'est engagé dans l'armée dans l'espoir initial d'apporter de l'argent à la famille, mais il n'est jamais revenu. Elle pense qu'il a trouvé mieux, peut-être une femme, des amis, une nouvelle famille. Elle ne peut pas le blâmer, son frère, Maud. Trouver mieux, elle en rêve tous les jours. Mais elle, elle n'est pas comme lui, elle ne peut pas le faire. C'est en tout cas ce que lui rappelle la "bienfaitrice", la Maud initiale, celle à qui elle doit son nom. La Mégère elle l'appelle, comme tous les enfants du quartier. Parce que personne n'est dupe, si elle donne autant d'argent, c'est pour avoir quelque chose en retour. Des filles à vendre ou des garçons à embaucher pour des graviers.

Mais Maud, elle a un don. C'est ce que disent les plus grands, qui la voient grimper comme une gazelle et franchir des rues en passant par les toits, marchant sur les lignes d'étendage comme si elles étaient des ponts en béton. Elle est agile la petite, et tout le monde peut le voir. Tout le monde, même la Mégère. Elle que Maud déteste du plus profond de ses tripes, elle va voir un avantage à sa finesse. Un tel avantage qu'elle ne lui laisse pas le choix : elle travaille pour la Mégère, ou toute sa famille meurt de faim. Maud n'a pas le choix, elle commence à voler.

Mais rapidement, elle décide d'une chose. Si elle doit voler, ça sera aux plus riches, du même acabit que la Mégère. Sans que celle-ci ne s'en aperçoive, Maud commence à voler ses compatriotes. Une partie de son butin va dans les mains pleines de bagues de la Mégère, l'autre, plus petite mais tout aussi précieuse, va chez celleux qui en ont le plus besoin. Chez la vieille voisine pour soigner son arthrite. Chez les Mombart pour leurs quatre bambins. Chez le vieux professeur pour acheter des livres de classe. Maud, à 10 ans, devient la personne que tout le monde attend. Tout le quartier connait son secret, mais personne ne le révèlerait à la Mégère. Maud est leur lueur d'espoir, celle qui apporte la joie dans les foyers. Petit à petit, les gens commencent à l'appeler Ibtissam. Le sourire, la joie. L'espoir d'une vie meilleure.

Mais un jour, elle vola à la mauvaise personne. Maud avait 13 ans, et elle mis la main dans la poche de Barlow. Barlow la brune, Barlow la violente. Celle qui se battait le soir dans les tavernes, qui ne laissait jamais passer un seul mot de travers. Elle venait d'arriver en ville, elle n'avait pas l'air riche, couverte de poussière, mais Maud était désespérée. Le dernier-né des Mombart avait une pneumonie, et la Mégère refusait de les aider. Il était trop tard pour que des riches soient de sortie. Alors, se disant que voler une voyageuse était moins pire que de voler un de ces piliers de bars, elle tenta le tout pour le tout. Faisant mine de trébucher, elle s'est rattrapée à la manche de la voyageuse qui l'a aidée à se relever. Rapidement, Maud avait glissé sa main dans la poche de la veste, sans que la voyageuse ne la voit. Enfin, c'est ce qu'elle pensait.

Barlow a saisit sa main d'un mouvement vif, avant de l'ouvrir de force pour voir son contenu. Ses yeux se sont plissés, et elle a entraîné Maud dans une ruelle. Maud qui était persuadée qu'elle allait mourir. Mais Barlow ne la tua pas. Elle lui proposa une alternative. Elle avait reconnu son talent, un.e autre qu'elle se serait laissé dupé. Et elle l'avait repérée, déjà, volant dans les airs sur les toits des maisons. Elle lui proposa de devenir son élève. De s'engager sur la Voie du Marchombre. Elle avait 22 ans, Barlow, mais elle était déjà reconnue. Apprentie à 12 ans, Marchombre à 15 ans, Maître à 18 ans. Barlow était exceptionnelle aux yeux de Maud. Qui accepta, mais après avoir fait une chose : voler la Mégère, deux de ses tableaux les plus coûteux, pour les donner à sa famille qui les vendrait et répartirait l'argent dans le quartier.

Après ça, elle s'en alla. A partir de ce premier départ, elle ne resta jamais plus de trois mois à un même endroit. Parfois elle les visita plusieurs fois, souvent elle les abandonna sans regrets. Son entraînement avec Barlow fut dur. Sortir de sa ville, de son univers de maisons et de tours lui fut difficile. Comment grimper quand tout est plat à perte de vue ? Comment voler quand il n'y a personne aux alentours ? Comment vivre quand on est seule, avec une Maître qui ne parle que peu, et qui ne répond aux questions qu'avec un sourire mystérieux ?

Petit à petit, son corps fut sculpté, son esprit aiguisé, sa langue affutée. Elle apprit à parler autant avec son corps qu'avec des mots, elle apprit à se taire aussi. Elle apprit à réfléchir avant d'agir et à penser sans se noyer. Elle apprit la nature et l'homme, la chasse et le voyage, elle apprit des choses qu'elle n'aurait jamais deviné seule. Elle apprit la vraie définition de Liberté. Les falaises écorchèrent ses mains, le sable brûla ses pieds, le soleil éblouit ses yeux. Mais elle avançait, avec une confiance absolue en celle qui était devenue plus qu'un Maître. Une sœur, une mère, une confidente. Son Maître. Elle voulait continuer à vivre ainsi, sur les routes avec son mentor, sans jamais s'arrêter. Mais les trois ans passèrent et arrivèrent à leur fin.

"Tu es prête. Vole, petite pie. Vole et sois libre."

Après avoir passé trois ans en compagnie d'une seule et même personne, se retrouver seule est un choc. Ce fut le cas en tout cas pour Maud. La Présentation au Conseil lui avait donné un objectif, l'Ahn-Ju une certitude et le Rentaï la Greffe qui lui permettrait de les accomplir. Elle était une Marchombre accomplie. Alors pourquoi se sentait-elle encore élève ? Avec cette question en tête, Maud partit. Elle voyagea, tantôt itinérante, tantôt frontalière, elle revêtit plusieurs identités, toutes axées autour d'une seule chose : la liberté. La liberté de vivre, de galoper loin de l'humanité, ou d'y revenir. Ce fut au grès de ces voyages, trois ans après la fin de son apprentissage, qu'elle le rencontra. Achille Til'Erhan, un Frontalier silencieux. Il était aussi blond qu'elle était brune, aussi renfermé qu'elle s'ouvrait au monde. Il était le seul qui lui ait jamais donné envie de se poser.

Jusqu'au jour où il fut tué.


Elle avait 23 ans, lui 24, et ils avaient prévu un avenir ensemble. Elle sur les routes, lui à la Citadelle, se retrouvant régulièrement, elle était prête à laisser sa tradition de côté, Maud. Sa tradition de ne jamais passer plus de deux fois au même endroit. Elle était prête à revenir vers lui autant de fois que nécessaire. Mais quand elle revint ce jour-là, les visages de ses sœurs étaient fermés. Bea et Calista connaissaient bien la Marchombre, elles l'avaient adoptée, mais ce jour-là, Maud ne put s'empêcher de se sentir comme une étrangère. Etait-elle destinée à voir toustes ceux qu'elle aimait s'en aller ? Elle n'avait jamais revu Barlow malgré leurs messages fréquents, et elle avait perdu le seul homme qu'elle ne pourrait jamais aimer.

Elle retourna sur les routes. Comme mue par un instinct plus fort que tout, Barlow la retrouva dans une petite auberge au bord du Polimage, non loin de la ville qui l'avait vue grandir. Les deux femmes restèrent une semaine ensemble avant que leurs chemins ne se séparent à nouveau. Une semaine qui commença à réparer les blessures de Maud. Après le départ de Barlow, Maud décida de retourner à Al-Chen, voir ce qui avait changé. Dans le quartier où elle a grandit, il n'y avait plus cette vieille voisine qui avait finit par succomber à la vieillesse. Le vieux professeur s'était éteint également, ainsi que trois des quatre enfants Mombart. Son père était tombé malade et sa mère enceinte. Maud retrouva un quartier en pire état que lorsqu'elle l'avait quitté, et décida que c'en était trop. Alors un soir, elle s'introduit chez la Mégère et prit une vie pour la première fois.

Et après, elle partit à nouveau. Cela faisait un moment qu'elle était dans la Guilde, elle savait comment elle fonctionnait. Et elle avait décidé qu'elle serait membre du Conseil. Pourquoi ? Certainement pas pour prendre le pouvoir sur ses comparses, mais pour guider les jeunes comme elle avait été guidée elle. Elle savait que Barlow avait été Conseillère un jour, même si elle refusait d'en parler. Au fond d'elle, Maud voulait la rendre fière. Lui montrer que ses enseignements avaient servis. Qu'elle était devenue sage, plus qu'avant.

A 27 ans, son souhait fut exaucé. Elle rejoignit un groupe de Marchombre à la tête de la Guilde et fit en sorte que les ambitions de certain.es ne priment pas sur le bon fonctionnement de leur Guilde. Elle restait souvent silencieuse, Maud, mais quand elle parlait on l'écoutait. Parce que si elle ouvrait la bouche, c'est qu'elle avait réfléchi. Longuement. Elle ne guidait pas souvent les Présentations, mais quand elle le faisait, c'était avec son âme de Marchombre qu'elle parlait. Maud tente toujours de transmettre cette Lumière que Barlow lui a fait découvrir, cette lumière que chacun.e porte en soi.