Feu - Les premiers cris parmi tant d'autres. Ceux de la vie qui confrontent ceux de la mort. Des êtres humains déterminés à triompher malgré l'adversité, l'amour au centre de leurs espérances. Les Kazrel ne se résument qu'à un couple de pionniers, en fuite de familles qui ne comprenaient pas leur amour et leur union. Jeunes, presque insouciants, mais éperdument amoureux. Ils fuirent Al-Far, remontent le Pollimage, jusqu'à une communauté en auto-suffisance, au Nord de l'Empire de Gwendalavir, qui a pris le nom simple mais accueillant de l'Exploitation. Même si son père fut loin du stéréotype guerrier, il faisait preuve d'une intelligence rare et participait aux élaborations des machines et constructions pour la communauté. Sa Mère, elle, se démarquait par son Don du dessin. Elle avait suivi la formation de l'académie d'Al-Far avec assiduité et il lui fut aisé de lui trouver une grande utilité au sein de la petite bourgade : préposée à la communication, il lui arrive aussi de divertir les membres de leur communauté dans des spectacles d'illusions, souvenir qu'elle emporta de sa propre famille, tenanciers de cabarets. Une enclave humaine qui tenait comme elle le pouvait face à l'adversité du monde et de l'hostilité croissante de la région.

Non loin du Royaume Raïs.

Sang - Ils connaissaient les risques. TW Sang, violence, massacre
Et pourtant leur naïveté les a poussé à fonder une famille. A tenter d'élever une vie douce et innocente au milieu du tumulte et du danger que leur environnement offrait. Les premiers souvenirs de Leander remontent à cette fameuse journée. 7 ans. L'âge où on joue encore à la guerre avec des bâtons sans connaître le véritable sens de la douleur. Sa première cicatrice l'empêchera ensuite de ce saisir de la moindre branche d'arbre. Car il n'eut que ça quand les guerriers Raïs détruisirent la grande porte du fort. Des hurlements, des bruits de métaux, de la terre plein la bouche et ses braies maculées d'un liquide poisseux et chaud. La lame d'un guerrier ennemi lui fendit le haut de l'épaule jusqu'au centre du dos de façon superficielle alors qu'il s'élançait pour lui échapper. La première marque indélébile sur son corps. Il ne dut son salut qu'à une charrette renversée et une couverture apparue comme par magie. Ses parents n'eurent pas cette chance, malgré l'arrivée de renforts d'un bourg voisin et de la maîtrise de guerriers de la Citadelle. Les forces armées reprirent le contrôle du lieu mais la désolation ne laissa absolument rien derrière elle. L'Exploitation n'est plus.

Et le regard vide de sa mère le fixe toujours depuis.

Sourire - Ce fut celui du mercenaire qui le trouva, recroquevillé et en état de choc sous sa couverture. Un sourire d'étonnement, d'amusement. Et de pitié. Pourtant, il y avait comme un côté paternel dans la broussaille de ses sourcils, et il prit le môme sous son bras pour l'emporter auprès de ses compagnons. Les guerriers de la Citadelle étaient déjà partis et ce groupe de guerriers se confondait furieusement avec des pillards. Mais Leander n'en avait absolument pas la notion, à cette époque. Le groupe ne le ramena pas à Al-Far, tout simplement parce que lui-même n'avait aucune idée de la véritable origine de ses parents. Le môme Kazrel resta donc là, comme une partie du décor, presque une mascotte, alors qu'une partie du groupe voulait s'en débarrasser. Mais Gregor s'y opposait farouchement. La douleur de la perte ne s'atténua pas, impossible de remplacer ce qu'il avait perdu. Néanmoins, l'horreur de la situation se posa comme une habitude. Un état de fait. Marqué dans sa chair et dans son âme, il dut se faire violence pour rester en vie. Se rattacher à des souvenirs de sourires, ceux de sa mère et de Lilya son amie de l'Exploitation lui manquèrent le plus. Il n'eut que le sourire franc de Gregor, de quelques années son aîné, pour le rattacher au monde physique au-delà de la douleur et des erreurs. Seul son sourire et ses farces comme preuve que cette vie est loin d'être pourrie. Car, en grandissant, même s'il apprit les rudiments de la lecture et du calcul, un orphelin comme lui se devait être utile au groupe. Mais comment avec son physique maigrelet ? De voleur d'objets, d'informations, on le força à devenir éclaireur et chasseur, jusqu'à ses quinze ans. Son corps se couvre doucement de ses erreurs, cicatrices laissées en mémoire de chaque faux pas, de chaque moment de danger, de chaque chose qui lui rappellent qu'il est toujours en vie. Son petit doigt gauche disparu alors qu'il échappa à un guerrier Raïs perdu, une brûlure à la main droite alors qu'il se saisit d'un tison trop chauffé par un feu de camps, une estafilade sur le torse et la marque d'une flèche sur la cuisse gauche. Tant de marques qui lui rebutent le moindre contact des autres, de peur de souffrir encore.

Et son propre sourire qui disparaît pour ne devenir qu'un souvenir à son tour.

Imagination- Au milieu de toute cette violence et âpreté, il y a bien une chose qui réussit à faire tenir ce môme debout : ses rêves éveillés. Des petits riens qu'il fait quand il est seul, quand il peut enfin s'échapper et s'évader dans ce monde si vaste. Des petits tours de "magie", faire apparaitre des objets tout droit sortis de son esprit qui s'évaporent l'instant d'après. Même des visages, des sourires ou des moments qui le réconfortent dans le noir de sa chambre. Il ne le fait pas vraiment consciemment et ne souvient même plus de la première apparition, juste son esprit qui divague face à la fatigue, au doute et au besoin de réconfort. Certaines nuits, à l'aube du réveil, ce sont même des scènes ignobles, dignes de ses plus beaux cauchemars qui apparaissent autour de lui. Souvenirs clairs et obscurs qui se mélangent en lui en un pêle-mêle d'émotions. Jusqu'à ses quinze ans, où l'un de ses cauchemars l'a réveillé d'une sieste improvisée au campement et s'est retrouvé réel autour de lui, face à des camarades tétanisés de peur. Contrôlant son effroi, il se plongea dans l'Imagination et changea doucement les traits de la mort et des monstres en aquarelles fluides qui s'évaporèrent dans un rayon chaleureux. Il ne faisait plus aucun doute aux yeux du monde.

Il est un dessinateur.

Voyage - Ce fut un petit événement vu la qualité et l'aisance de l'adolescent face à son Don. Les membres violents du groupe y trouvaient une aubaine et réfléchissaient déjà à son utilisation dans les forces pour combattre des Raïs ou se faire plus de butins. D'autres se firent plus méfiants, les dessinateurs ne se faisaient clairement pas légion dans la région, encore moins avec son talent présumé. Puis, finalement, il n'était encore qu'un gamin sans formation. Et Leander dans tout cela ? Dans un premier temps, habituel de son calme et de son flegme, il ne comprit pas tout de suite les enjeux. Jusqu'à ce qu'il entende Gregor évoquer le fait qu'il fasse une réelle formation à ses dix-huit ans dans une académie. Une académie ? L'idée même le réveillait de sa torpeur et ce qu'il pouvait considérer presque comme son père adoptif lui fournit davantage d'explications. Jusqu'à Al-Jeit même ? Même dans ses rêves les plus fous, il ne pensait pas un jour aller aussi loin. Une partie du groupe s'opposa même à cette idée, mais le gamin, têtue comme un siffleur, venait de trouver son nouvel objectif. Avec ou sans leur accord, il se rendrait à Al-Jeit. Le voyage fut simple et rapide, même s'il ne le fit qu'avec Gregor qui fit sécession avec le reste du groupe, persuadé que c'est la meilleure solution pour son protégé. Le cœur en bandoulière, lourd et léger à la fois, Leander préférait largement sa compagnie seule et il profita de chaque instant, car il savait que son arrivée dans la grande capitale le séparerait de lui. Puis ses yeux s'illuminèrent lorsque les premiers bâtiments féériques s'imprimèrent sur ses rétines. Il n'avait jamais rien vu d'aussi beau et d'aussi grand. Et d'aussi peuplé. Toute cette foule lui donnait le tournis et des vertiges et en même temps savoir que ce qu'il a en lui a pu créer tout cela lui l'enchante. Le fait rêver. Une fois arrivé en ville, une chose étrange s'opéra : à peine eut-il donné son nom de famille pour la réservation de la chambre dans une taverne, que le tenancier le regarda avec étonnement : "Kazrel ? Vraiment ? Pourquoi vous embêtez-vous à venir dans mon modeste établissement ?". Le ton était clairement dédaigneux et il apprit que des Kazrel tenaient l'un des Cabarets les plus en vue de la ville.

Et ce fut comme cela qu'il retrouva une partie de sa famille.

Ombres & Lumières - S'il y a bien une chose à laquelle Leander se souviendra de son arrivée à Al-Jeit, ce sera le Cabaret de sa tante Amaya. Le "Reflet de Lune" est une adresse qui ne s'anime que lorsque son homonyme monte dans la toile infinie de noirceur, offrant des éclats de sa musique et de ses danses comme des étoiles étincelantes. Couplant l'art fin du Dessin, les voix parfaites et aventureuses de leurs divas et les mouvements audacieux de leurs artistes, nombreuses sont les mirettes qui se remplissent de rêves. Derrière le rideau, l'entreprise respire la bienveillance familiale qu'aucun lien du sang ne lie. Aux yeux du gamin, c'est un véritable foyer qui entretient les souvenirs les plus doux qu'il garde en mémoire. Amaya est la sœur de sa mère, dessinatrice d'un certain talent, elle avait des ambitions autrement plus grandes que de rester à Al-Far et elle prit exemple sur sa grande sœur pour commencer sa vie et sa carrière à la capitale. Depuis 1996, elle n'avait plus de nouvelles de sa sœur et fut mise au courant de la tragédie de l'Exploitation, qu'elle ne fut pas sa surprise et sa joie de retrouver son neveu. Elle accueillit Leander à bras ouverts et proposa même un poste de videur à Gregor.

Un changement radical de vie, de l'ombre à la lumière.

Appel - Il passa les trois années qui suivirent à travailler pour Amaya, peaufinant son don instable, espérant que son analyse lui permette d'intégrer la prestigieuse Académie d'Al-Jeit. Il participait aux représentations, se chargeaient aussi des messages, toujours dans l'ombre. Même si sa tante se doutait qu'autre chose se cachait derrière cette nonchalance toujours affichée et sa placidité claire. Lui, Leander, ne vivait que dans l'attente de ce moment. De l'appel incessant des Spires et de l'Imagination, de tous les trésors et les mirages et qu'il pourrait voir sur ces chemins, s'y perdre pour oublier la douleur, les doutes, perdre les cris et les larmes. Jusqu'à ce qu'elle arrive enfin : son Analyse. Et les trois cercles qui se dessinent sur la grande toile blanche en fait écarquiller les yeux du dessinateur qui l'examine. Leur taille ne laissent aucun doute sur la puissance de son don, tout comme leur alignement. Concentriques, le cercle Bleu de la Créativité plus grand que les autres, suivi de près par celui Jaune du Pouvoir, alors que celui de la Volonté se trouve un peu plus à l'intérieur. Chaque représentation trouve sens dans l'esprit du jeune homme qui comprend alors mieux l'équilibre de son don. Sa créativité lui permet de redessiner avec précision, le pouvoir lui offre leur éclat mais sa volonté n'est pas assez grande pour échapper à l'aspect éphémère de ses dessins.

Et il ne fait plus aucun doute, il intègrerait l'Académie d'Al-Jeit.

Souvenirs - Il avait 18 ans, l'analyse passée et à quelques jours de son entrée dans l'académie. Quand Amaya le surprit à retracer avec précision les décors de ses voyages avec la troupe de mercenaires, qu'elle comprit le véritable don de Leander.  Elle lui demanda alors, égoïstement, de lui montrer le visage de sa sœur. Livide, l'adolescent ne parvint qu'à retracer son dernier souvenir. Jamais plus. Jamais mieux. Toujours ce regard vide de toute trace de vie, le sang encore chaud qui dégouline de sa tempe ouverte. Rien de plus. La violence de l'instant dans sa plus pure expression. Alors, sous le choc, elle ne répondit rien. Mais Leander décela autre chose, une autre vision dans le coin de son esprit alors qu'il arpente les Spires. Un autre regard, à l'éclat bleu de l'orage puissant, pareil au sien, et aux cils infiniment longs. Il se saisit de cet instant et du rire cristallin de la jeunesse dans les traits de cette femme. Alors, elle apparut. Sarai Kazrel, sa mère, dans toute la splendeur de sa vingtième année, riant aux éclats d'une boutade de sa petite sœur.

Et les larmes qui coulaient sur les joues d'Amaya ne furent que le pâle reflet de celles qui maculaient les joues du fils.

Maison- Il ne faisait plus aucun doute à Leander qu'il était enfin chez lui. Parmi les siens. Au milieu d'autres dessinateurs aussi doués les uns que les autres. La magie qui opère et qui le transporte. Ses études le passionnèrent plus que de raisons et il se jeta à corps perdus dans les exercices, les demandes et les activités proposées par l'Académie. Malgré son nom dénué de toute noblesse, il transcenda l'hypothétique concurrence -tout simplement en l'ignorant superbement- et son aspect studieux l'isola quelque-peu des autres. A moins que cela ne soit le manque de sourire ? Même si cela entretenait un côté mystérieux, il parvint néanmoins à susciter l'intérêt de ses camarades par son don si particulier : ramener à la vie les souvenirs enfouis. Cathartique, le procédé pouvait aider autant que rebuter et même lui-même n'est pas certain de toujours revenir indemne. La seule certitude qui le prend, à chaque fois, est qu'il se trouve à sa place. Toujours attiré plus loin par l'appel de l'imagination, il veut parcourir le plus possible les chemins sinueux des Spires. Chez lui. Les examens finaux furent des formalités et il trouva une place de choix parmi les Gardiens des Spires, tout en continuant ses aides auprès de ceux qui avaient besoin de lui. Remplissant son rôle avec sérieux et implication, démontrant et améliorant encore ses capacités, la place de Grande Sentinelle qui se libéra quelques années plus tard, lui fut offert comme une évidence.

Finalement,  de la poussière à l'argent des hautes sphères, il n'y a qu'un pas sur le côté.