tw : abandon, (idées de) meurtre
« J’te dis, un jour, j’vais l’tuer. »

Horyl observa un instant le gamin à ses côtés, l’air incrédule, l’air curieux mais pétillant, cruellement intéressé. Comme tous les membres de son groupe d’infortune, son compagnon n’avait pas eu de chance dans la vie. Il n’était pas l’un de ces gamins mignons qui ramenaient de l’argent en claquant des doigts, de quelques larmes versées ou d’un regard attendrissant. Mais il était déjà fort pour son âge, et courageux. Diablement courageux.
Assez pour qu’Horyl l’admire. Assez pour qu’Horyl l’envie.
Il l’appréciait beaucoup et ils étaient le jour et la nuit. Force et finesse. Ils se complétaient. Horyl était un enfant calme qui apaisait son ami lorsque la bravoure devenait de la folie. Et Elrik le poussait à l’action, l’aidait à mettre ses plans à exécution.
Aujourd’hui ne faisait pas exception.

« Pas maintenant, mon cher Elrik. Un jour, peut-être, mais certainement pas maintenant. »

Tous deux faisaient partie d’un groupe d’enfants recueillis par celui qu’ils appelaient le Surnom.
Comme leurs semblables, ils étaient orphelins, gamins indésirables et lui devaient la vie. Sans aucun doute.
Mais ils étaient au cœur de la poignée de leurs camarades qui le haïssaient de manière viscérale. Qui prononçaient son nom comme une injure, le crachait dans son dos comme des parjures.
Si l’Ancien était pour eux ce qui se rapprochait le plus d’un père, il n’en avait pourtant pas la bienveillance rêvée. Mais ils n’avaient pourtant pas à se plaindre. puisqu’il n’était pas spécialement cruel.
Il était opportuniste. Malsain. Mais pas cruel.
Patiemment, il avait appris à ses Enfants à voler. Patiemment, il avait appris à ses Enfants à faire les yeux doux auprès des plus riches pour récolter leur argent.
Son argent.
En échange de tous ses bons soins, en échange de leur survie, assurée par la force du groupe, ils lui ramenaient des trésors, ils le payaient.
Et, si un mois, l’un d’entre eux n’y arrivait pas, il était exclu. Simplement. Il retournait seul dans la rue, dans les bras de la funeste Al-Far. Sans aide. Sans nourriture ni protection.
L’homme grand, imposant, se targuait toujours que leur survie à tous dépendait directement de lui.

La bande formait presque une sorte de petite société, étonnamment organisée. Présents depuis très jeunes, ils semblaient tous croire que leur univers entier dépendait de leur malsain bienfaiteur, ses paroles s’étant ancrées dans leur esprit dès leur arrivée chez lui.
Les rumeurs couraient qu’il utilisait la magie.

Pourtant, comme dans chaque simulacre d’harmonie, le chaos s’instillait, peu à peu, doucereux.
Ils étaient maintenant plusieurs qui, comme Elrik et Horyl, commençaient, avec l’âge à ressentir de la frustration. À vouloir plus. À vouloir leur part de ce qu’ils récoltaient et à ne plus se satisfaire de voir leurs besoins de base satisfaits.
Après tout, ils seraient probablement capable de le faire eux-même.
Au fil du temps, les murmures se faisaient plus nombreux. Les envies d’éclats, de changement, se glissaient dans les esprits.

tw : meurtre (mention), douleur (mention), maladie, vieillesse
Inéluctablement, le temps passait.
Inéluctablement, l’Ancien vieillissait.
Inéluctablement, ses protégés changeaient, ses protégés grandissaient.

Les chuchotements devenaient peu à peu plus audibles. Les chuchotements devenaient peu à peu des voix, presque des cris.

« Aujourd’hui ? »
« Aujourd’hui. »

Ils avaient le nombre. Ils avaient la force de l’âge.
Ils avaient un plan.

Depuis une semaine, l’Ancien n’était pas au meilleur de sa forme.
Depuis quelques jours, les gamins ne l’avaient pas vu quitter son appartement.

Comme des vautours, comme des rongeurs affamés, ils s’étaient mis à l’observer, à le surveiller.
Et, cette nuit, ils étaient prêts.

Ils étaient cinq, à se glisser dans la chambre de leur bienfaiteur, les uns derrière les autres comme s’ils avaient été un groupe organisé.
Ils s’étaient équipés, avaient volé des armes.

Mais tout fut très facile. Tout fut trop facile.
L’Ancien ne se réveilla qu’à peine, ressentant la douleur, soudaine, vive.
lls n’avaient fait qu’accélérer ce qui avait déjà commencé. Ils s’étaient faits émissaires du temps et avaient précipité le Destin.

Ils ne furent jamais les mêmes ensuite.
Leurs liens s’étiolèrent, rongés par la divergence de leurs dilemmes internes, achevés par leurs échanges enflammés.
Elrik était de ceux qui étaient étouffés par la culpabilité.
Horyl était de ceux qui avaient ressenti un sentiment d’inachevé. Une insatisfaction.

Tous cinq prirent des chemins différents.
Besoin de partir. De s’évader. D’oublier.

Pour la première fois de sa vie, il réalisait la profondeur de sa solitude.
Elle était là, derrière lui comme une ombre, alors qu’il n’avait que le Monde pour compagnie.
D’un coup, il lui paraissait vaste. Immense. Infini.
Et l’ennui était son meilleur ami.

C’était par ennui, qu’il s’était mis à se perdre dans ses pensées, qu’il s’était mis à imaginer. À imaginer, encore et encore jusqu’à Imaginer.
Il s’était d’abord rendu compte que, lorsqu’il se concentrait, lorsqu’il se perdait dans son esprit, presque en transe, il pouvait changer les couleurs du monde autour de lui.
Il en avait été fasciné, emballé, s’imaginant toutes sortes de possibilités et avait continué. Continué, sans cesse, d’essayer de dessiner.

Ses esquisses lui étaient d’abord pratiques. Il sublimait les lumières, réinventait les couleurs et créait des illusions, des ombres, mobiles, qui sinuaient autour de lui. Elles étaient des complices pour les vols qu’il commettait pour survivre, ainsi que de magnifiques artistes pour créer quelques spectacles de rue, attirant la monnaie des plus riches, au fil de ses errances.

Mais ce n’était pas suffisant, ce n’était pas satisfaisant.
Au fond de lui, il avait besoin de plus. Chaque jour, il essaya, travailla ses illusions, leur ajoutant de plus en plus de détails, se poussant parfois à l’épuisement le plus total.

Quand on lui passa le Test, à ses dix-huit ans, on lui révéla que son Don était fort, mais imparfait. Que sa Volonté était d’acier, son Pouvoir, moyen, en voie de progresser, mais sa Créativité plus faible, plus loin derrière.
Son ego, blessé, lui avait hurlé de se révolter. Il était parti en coup de vent, tempête de colère, se retenant d’exploser.
Horyl avait passé quelques temps sans Dessiner, mais n’avait su y résister, son aspiration à devenir plus fort, toujours plus fort, frôlant l’obsession.


tw : langage, intention de tuer ou blesser
« Merde. »

Il avait gaffé. Horyl avait gaffé.
Pourtant, la situation était normale, la situation était banale.
C’était sa faute. À ce stupide marchand, riche, qui ne reconnaissait pas sa Grandeur, qui ne s’était pas laissé impressionné par son Don, par les illusions qui s’étaient parées de beauté autour de lui.
Malgré sa discrétion, malgré la fluidité de son geste, il avait trop compté sur la distraction de son Don et il s’était fait prendre, en train de voler directement sous le nez du bourgeois.

Mais c’était sa faute à lui.
Sa faute


Son palpitant manqua un battement.
Quelqu’un, près de lui, l'avait interrompu. Il revint à la réalité et sa Bête s’apaisa, s’effaça, disparu.
Son regard courroucé observa l’inconnu.e.

« Ce pauvre homme ne mérite pas ton impulsivité. »

La voix douce, calme, posée, détonnait avec la psyché agitée du jeune homme à qui elle s’était adressée.
Elle l’envouta, lui parla de liberté. De se libérer de ses chaînes, d’oublier toute entrave au prix de toute reconnaissance et de trois ans de sa vie.
Horyl fut heureux. Heureux que l’on ai remarqué son potentiel, que l’on pose enfin les yeux sur lui, spectre des bas-fonds bien souvent omis.
Plein de morgue, il accepta.
Il ne sut jamais s’iel avait vu son Dessin, s’iel en avait compris la teneur. Il savait très bien, au fond de lui, qu’au-delà de lui faire peur, il avait voulu blesser, faire du mal à cet homme qui, à son orgueil, s’était ainsi attaqué. Que lae Marchombre l’avait probablement sauvé.

L’apprentissage fut exigeant. Difficile. Même pour lui qui avait la débrouillardise de la rue.
Mais pire que l’apprentissage, ses propres exigences étaient encore plus hautes, encore plus dures d’atteinte. Il était insatiable, il essayait toujours d’aller plus loin, de connaître encore plus de choses. Il lui arrivait lui-même de pousser l’entraînement un peu trop loin, avant même que saon Maître ne le lui demande.
De l’extérieur, on le voyait souvent comme un apprenti courageux, motivé, complètement dévoué à sa formation.
De l’intérieur, il n’était qu’un gouffre sans fond.
Un trou noir d’ambition qui rêvait de pouvoir, de perfection.

Et trois ans plus tard, il se sentit récompensé. Il se sentit choyé.
L’Ahn Ju était une fierté. Un résultat. Un accomplissement.  
Une satisfaction éphémère. Un pas dans l’escalade vers ses propres desseins, pourtant toujours plus hauts, pourtant toujours plus loin.  


Avide.
Haletant.
Ce n’était pas suffisant.
Il arpentait la Voie comme un spectre. Errant sans but. Éperdu.
Son Don suivait ses pas, lui titillait l’esprit. Il le sentait bouillir au fond de lui.
Bouillir.
Bouillir.
Et bouillonner.

Il ne demandait qu’à

e x p l o s e r.

La liberté était belle, la liberté était douce.
Mais elle n’était pas assez.
Quelque chose clochait.
Quelque chose manquait.

Quelque chose qui le dévorait, qui le rongeait.
Il n’était pas libre.
Il était une Bête dans une cage dorée. Son Don voulait rugir comme son être tout entier.

Il n’était pas là pour être libre. Pas seulement.
Il était là pour briller, pour fulminer, pour éclater, pour déflagrer.

Insatiabilité.

Il s’était fait vagabond.
Il s’était fait vagabond, sa vie en suspens, moment de flottement.

En réalité, il avait le sentiment d’avoir perdu le contrôle.
Il s’était oublié dans sa frustration, n’était qu’une boule de rage et de destruction.
Impatient dans sa stagnation, désireux, toujours, de voir une progression, il Dessinait. Il Dessinait tellement qu’il avait l’impression que son Monde se confondait au monde.
Ou peut-être devenait-il
simplement
irrévocablement

fou.

Fou dans son insatisfaction. Dans sa recherche de la perfection, de l’élévation.

Et s’il jouait avec le destin ?
Et s’il précipitait le temps ?

Alors que le corps et l’esprit cherchaient de nouveaux défis, les jambes s’activaient déjà.
Sa boussole, la convoitise, le guidait. Et depuis quelque jours, plus ou moins consciemment, ses pas frôlaient les tragédies. Les villages brûlés, les victimes tuées, les riches disparus. Il rôdait dans le sillon de ses ennemis.

Pour que son pouvoir explose, pour que son pouvoir s’expose, il devait le laisser calciner le Monde.
Construire son empire dans ses cendres.
Brûler, détruire les limites de sa liberté.

Laisser le chaos le subjuguer, laisser le chaos le sublimer. Renaître dans la discorde et laisser son potentiel s’évader.


tw : mention de meurtre
Il s’était fait complice de l’un des meurtres d’un.e jeune Mercenaire du Chaos.
Il l’avait croisé, alors qu’il errait dans les rues les plus malfamées des contrées de Gwendalavir.
Tout son être transpirait le Chaos.
Sa démarche chaloupée, ses gestes assurés, mais surtout son regard.
Surtout son regard.

Même pour Horyl, son regard avait quelque chose d’intimidant. De presque impressionnant.
Ce fut l’un des rares moments de sa vie où il ressenti de l’admiration pour quelqu’un d’autre que sa personne.
Il était profond, vide. Ses yeux étaient à la fois un gouffre et un ciel étoilé.

Ce soir-là, pour se présenter, Horyl s’était contenté de Dessiner.
De nombreuses ombres avaient envahies les environs, rendant le meurtre plus facile, accentuant la discrétion de saon compagne.on.  
La situation leur permis quelques échanges et ils se fascinèrent. Le Don d’Horyl et ses envies de trahison renforçant aisément son charisme.

Il s’engagea une nouvelle fois.
Pour une seule année.

Une seule année qui fut bien pire que les trois précédentes.
Saon second.e Maître ayant le chaos dans le sang et beaucoup moins de scrupules que la.e premier.ère.

Fidèle à lui-même, Horyl persévéra, cherchant à toujours devenir meilleur, toujours s’élever plus loin.

Bientôt, les cloches de l'Oraison sonnèrent pour lui.  
Avec épuisement, avec difficulté, il réussit.

Et maintenant, l’ascension se poursuivait
Le Chaos dans la peau, sa nouvelle Voie le comblait.
Plein d’ambition, plein de détermination, il gravissait les échelons.
Il était Mentaï, en grande partie grâce à son Don. Mais il n’avait pas terminé. Il n’avait jamais terminé.
Il sillonnait les villes de l’Empire comme un prédateur prêt à rugir, prêt à bondir, laissant désolation dans son sillage. Ses actes étaient variés, souvent pour son propre intérêt caché. Parfois pour contribuer à sa communauté.
Si son Pouvoir était grand, s’il pouvait s’étaler de manières variées, il laissait souvent, derrière lui, une empreinte, cependant.
Sa magie laissait derrière lui l’odeur fétide de la Mort, l’odeur du pétrichor, les relents épicés des égarements de son passé.. Il aimait les ombres, il aimait les illusions. Créer des visages familiers, effrayants. Utiliser ses propres souvenirs macabres pour les partager aux gens. Ses crimes étaient le théâtre de ses idées.

Maintenant serviteur du Chaos, il n’avait comme limite que son Imagination.
Maintenant Prince de la Mort, Mentaï, il ne lui restait qu’à assouvir son ambition.
Encore et toujours plus.